Bouchons attachés : la dernière ligne droite
publié le vendredi 31 mai 2024
Abonnez-vous à la revue pour lire la suite de l'article
s'abonner
La directive européenne obligeant à rendre les bouchons solidaires des bouteilles entrera en vigueur en juillet. Cette obligation a chamboulé les marques et les fabricants de bouchons à tout point de vue – en termes financier, industriel, stratégique, et même marketing selon les modèles adoptés.
Les bouchons figurent dans le top 10 des déchets marins… C’est de ce triste palmarès qu’est née l’obligation d’attacher les bouchons au col des bouteilles, afin qu’ils ne se perdent plus dans la nature. Cette obligation (pour les contenants de moins de 3 litres) a été entérinée par la législation européenne 2019/904 SUP (Single Use Plastics), qui entrera en vigueur en juillet prochain. L’Europe fait figure de proue dans cette démarche. Malgré le manque de communication des marques et des institutions, les consommateurs se sont peu à peu habitués à ces nouveaux bouchons – bien souvent en ignorant l’existence de cette directive. Graeme Hood, directeur R&D «Boissons» du groupe Berry, estime tout de même qu’elle «a contribué à sensibiliser les consommateurs. Elle aide également à réintégrer les bouchons dans le processus de recyclage. Je pense qu’elle pourrait s’étendre à des produits à usage unique dans d’autres marchés». Des discussions «règlementaires» sont en cours aux Etats-Unis, notamment dans les états de Californie et du Maine. «D’autres pays – comme la Norvège, la Suisse ou la Grande-Bretagne, où le bouchon solidaire n’est pas obligatoire, vont l’implémenter car ils exportent en Europe», note Benoit Henckes, pdg de United Caps. Ailleurs dans le monde, des marques de boissons adoptent les bouchons attachés pour se différencier. «Mais sans obligation, cela restera sans doute limité, car ces bouchons nécessitent de modifier les outillages, les lignes d’emballage chez les clients, etc… Or sur le secteur de la boisson, les prix sont challengés», analyse Sébastien Nguyen Hoang, directeur du développement du segment Boissons pour Aptar.
Des investissements colossaux
L’impact de cette obligation est en effet énorme en termes industriels et financiers, tant pour les marques que les fabricants de bouchons. Pour ceux produisant des bouchons attachés plats (hors gamme sport), les investissements ont été conséquents car l’enjeu était de maintenir un poids de bouchon extrêmement bas, couplé aux exigences strictes du secteur de la boisson – tout en intégrant cette nouvelle fonctionnalité «attaché et pratique», souvent protégée par des brevets. Tout ceci a conduit au renouvèlement de l’ensemble des produits et outillages en très peu de temps. «Pour la production de bouchons attachés dans nos sites de Dijon et Vittel, Bericap France a engagé plusieurs dizaines de millions d’euros, alors que son chiffre d’affaires s’élève à 85 millions d’euros ! Nous avons investi dans des moules d’injection, des lignes de slittage et des équipements annexes – comme des caméras de contrôle pointues. Les nouveaux moules, dont les caractéristiques sont un peu différentes (débit optimisé, etc.), ont nécessité la mise en place de nouvelles presses à injecter. Les préformistes ont dû aussi investir, mais moins que les bouchonnistes pour lesquels ça a été la révolution», résume Joseph Dacqui, directeur commercial de Bericap France. Dans l’hexagone, la société produit 9 milliards de bouchons par an. A date, 85% seront des bouchons attachés. De son côté, le groupe Berry a dû modifier son offre en Europe, moyennant «d’importants investissements à huit chiffres en dollars. Nous devons désormais gérer le déploiement en production en douceur. Certains cas sont plus simples car les clients conservent le même col sur les bouteilles, mais d’autres plus complexes en cas de changement de col. Pour certains bouchons à vis, nous avons utilisé nos modèles existants. Pour les boissons fortement carbonatées, nous avons développé un bouchon attaché 26 mm en 2021 – et été les premiers à proposer une solution GME30.40 de ce type. La mise en œuvre des bouchons attachés nous a également permis d’alléger nos produits», détaille Graeme Hood.
Des clients… plus ou moins prêts
« Les bouchons attachés représentent 30% de notre activité – soit 45 millions d’euros de chiffre d’affaires… et autant d’investissements industriels dans nos principaux sites de production au Luxembourg, en Allemagne et en Grande-Bretagne, où nous en avons profité pour moderniser nos outils de production», précise Benoit Henckes. Au sein de United Caps, ces bouchons attachés se divisent en trois catégories, à part égale : ceux pour les briques de lait– sur lesquels «nos clients ont été proactifs et bien organisés en amont», les bouchons premium pour les bouteilles en PET, et les bouchons pour les bouteilles de lait en PEHD, qu’il a fallu rendre inviolables et solidaires. Ces bouchons étaient déjà soumis à des contraintes techniques en termes de design : les rendre solidaires en a rajouté ! Nous avons dû refaire tous les moules pour proposer un bouchon avec une bande moulée. Ce sont de gros investissements pour nous et les clients, qui sont nombreux à avoir repoussé le sujet et à commencer dans la panique», ajoute-t-il. Désormais dans la dernière ligne droite, les acteurs du bouchon sont débordés par la demande. Les fabricants de machines ont subi des retards dans la livraison de leurs équipements. Chez les clients les plus à la traine, il faut s’adapter aux lignes. «Nous avons dû bouleverser nos plannings de production pour concrétiser l’ensemble des moules afin que la gamme entière soit prête – au détriment de l’augmentation de capacité pour des bouchons déjà définis. Mais heureusement, le groupe Bericap a investi de façon importante dans plusieurs pays et filiales, et nous pouvons nous entraider», note Joseph Dacqui.
Des stratégies de production différentes
Les producteurs de bouchons – en PEHD, en PP, et avec valve TPE pour des modèles sport – ont opté pour des stratégies différentes, en choisissant de fabriquer des bouchons dont la bande d’attache est moulée, ou bien découpée à part lors d’une seconde étape. L’un ou l’autre choix a ses avantages et inconvénients. Ceux optant pour la bande moulée – un process nécessitant des investissements plus conséquents – jugent la solution plus qualitative, permettant d’obtenir un angle d’ouverture plus grand. Pour Betapack, «injecter en une seule étape dans le moule – sans manipulation a posteriori car la charnière est injectée en une seule opération – constitue un gage de répétabilité, de fiabilité et d’absence de particules plastiques», détaille Pascal Destruhaut, directeur commercial de l’entreprise, qui a fourni dès 2016 le fameux bouchon Snap Clic de la bouteille Cristaline. Le groupe Bericap privilégie, lui, la technologie slitting (découpe après injection) pour une solution «clip aside»: la découpe est en partie crénelée afin de réaliser une charnière. «Avec cette technologie, nous pouvons créer n’importe quel type de découpe, et facilement transformer un bouchon classique en un bouchon solidaire», assure Joseph Dacqui. Sur le bouchon sport, multi-composants, Graeme Hood estime qu’il est plus facile d’opérer une découpe après injection. «Les services marketing ont des difficultés à cerner les préférences des consommateurs. Cela va s’affiner au fil des mois», pense Benoit Henckes. «Sur le marché des eaux, on voit deux tendances de bouchons vissés – un coté «économie» avec des bouchons plats de faible hauteur (11 mm) et un côté plus «confort», avec un bouchon plus haut (13 mm), attendu par le consommateur», précise Joseph Dacqui. Quant au col des boissons gazeuses, plus haut, «il a nécessité un développement plus complexe pour aider les consommateurs à la refermeture», ajoute-t-il. Le bouchon snap, lui, conserve une image «bon marché».
Les préférences consommateurs s’affineront à l’usage
De nombreux modèles de bouchons existent désormais. Va-t-on tendre vers une standardisation ? «Chaque fournisseur protège son design et la fonctionnalité des bouchons par un brevet. Dans l’approche et l’ouverture, on note peu de distinctions entre les modèles «plats» attachés : c’est l’expérience qui fera la différence, certains seront plus appréciés que d’autres à l’usage», souligne Sébastien Nguyen Hoang. Aptar Beverage a d’ailleurs conduit des tests consommateurs qui ont, par exemple, mené à la conception du bouchon-sport attaché Rocket, en cours de production. Il intègre une casquette assez large pour une ouverture intuitive, un angle d’ouverture large à 180°, un clic audible à la refermeture, ainsi qu’un témoin d’inviolabilité non-détachable et visible. Autre nouveauté chez Betapack : la société a fourni pour des yaourts à boire en 25 et 33 cl «le premier bouchon snap solidaire avec un système de charnière doté d’un clic puissant lors du blocage du bouchon à 220° et lors de la refermeture, pour plus de praticité. Rien n’était conçu pour ces bouteilles en PEHD, sur lesquelles la précision dimensionnelle du col est moindre que sur celles en PET. Nous avons donc conçu un bouchon attaché adapté, sur la base d’un col retravaillé», précise Pascal Destruhaut. Le bouchon attaché doit résister au moins à 15 ouvertures et refermetures. «On sait que les ONG sont à l’affut : si on trouve encore dans l’avenir beaucoup de bouchons dans la nature, la loi pourra être renforcée au bout de trois ans concernant la valeur de force d’arrachage. Les acteurs du marché et le Comité Européen de Normalisation se sont mis d’accord sur deux valeurs faisant consensus : 25 newtons pour un contenant monomatière – une bouteille PET par exemple, et 12,5 newtons pour un contenant bi-matière, comme une brique composée de carton, plastique et aluminium. C’est assez bas. Betapack a d’emblée opté pour une valeur d’environ 50 newtons», relève Pascal Destruhaut. La société fabrique 9 milliards de bouchons par an dans son usine d’Irun, au Pays basque. «Les bouchons attachés ont représenté 63% de nos ventes en 2023 et atteindront 86% en 2024. Ces cinq dernières années, nous avons investi 30 millions d’euros dans de nouvelles lignes. L’usine est désormais très automatisée», ajoute-t-il. Aptar Beverage qui, en Europe, développe des bouchons attachés à vis (notamment de type sport), a adopté la même démarche «en doublant quasiment la valeur d’arrachage, selon les cols», précise Sébastien Nguyen Hoang. Le groupe estime que ses coûts liés à la production de bouchons attachés «ont été lissés sur la maintenance des outillages. Les nouveaux bouchons n’ont pas généré de surcoût. Nous avons rétrofité les moules existants avec des solutions déjà identifiées bien en amont», assure-t-il.
Un marché et une cartographie industrielle chamboulés
Le bouchon attaché a rebattu les cartes sur un plan industriel. «Le bouchon attaché a été pour Betapack une énorme opportunité. Nous avons pu apporter un savoir-faire, de la réactivité, nous avons modernisé nos outils. En 2019, notre chiffre d’affaires s’élevait à 37 millions d’euros. Aujourd’hui, il atteint 55 millions d’euros. Mais les débuts étaient un saut dans l’inconnu ! Cette obligation a sorti tout le monde de sa zone de confort», se remémore Pascal Destruhaut. Pour Benoit Henckes, «on voit deux types d’acteurs sur le marché du bouchon attaché : les «gros» fabricants détenant les parts de marché, et d’autres plus petits – principalement en Europe de l’Est – qui ne peuvent pas suivre au niveau des investissements et des techniques». United Caps est producteur de bouchons pour les briques – un segment également chamboulé par le fait que deux acteurs majeurs – Tetra Pak et SIG – fabriquent désormais leurs bouchons en interne. «D’autres acteurs cherchent à acheter leurs composants ailleurs, notamment pour casser ce monopole et avoir le choix de solutions alternatives et créatives», assure Benoit Henckes. Chez Bericap, Joseph Dacqui relève que la société reste «force de proposition sur certains produits. Le bouchon solidaire a rebattu toutes les cartes, à la fois en faisant perdre des positions aux fabricants dans certains secteurs, et en leur faisant gagner des parts de marché sur de nouveaux segments… Tout le monde va devoir digérer cette transition. Il faudra refaire le point fin 2024», conclut-il.
De nouvelles applications sont en cours de réflexion avec des bouchons attachés, par exemple sur des poches flexibles (boissons, crèmes, compotes), des bouchons de cosmétique lourds ou des recharges. Ces bouchons, ne nécessitant pas des fonctionnalités poussées, devraient trouver un intérêt à rester solidaire au contenant.