Design des flacons de parfum : subtilités et détails

Si l’éco-responsabilité se place désormais en toile de fond de tout design de produit, cette tendance n’a pas impacté l’élégance des flacons de parfum. Plusieurs micro-tendances se côtoient : détails reflétant l’identité des marques, couleurs vives, formes minimalistes ou encore flacons d’exception signés par des artistes et artisans… Des designers spécialisés dans l’univers du flacon nous livrent leurs ressentis face aux derniers et futurs lancements.

« Le design reste la forme d’expression la plus libre permettant à la parfumerie de continuer à être créative». Cette phrase du designer Thierry de Baschmakoff illustre bien le renouvellement perpétuel du secteur du parfum en matière de packaging. Si, dans la parfumerie, il reste difficile de parler de tendances de fond tant certaines marques ont une identité affirmée, une chose est sûre : le marché des flacons suit celui de la cosmétique. «L’éco-responsabilité a un grand impact sur le design et les décors. Aujourd’hui, on utilise des laques à l’eau, on réduit les poids de verre, etc. Cela a une incidence directe sur les flacons qui perdent en volume perçu. L’intérêt d’un flacon en verre léger est finalement de faire disparaître le verre : celui-ci se confond avec le liquide pour ne faire qu’un. C’est une nouvelle approche aussi pour le designer, qui crée en fonction de ce rendu particulier (flacon dessiné pour Verescence). Par ailleurs, pour éviter de mélanger différentes matières, quelques projets intègrent du verre dans le capot. C’est une jolie alternative car ce matériau est très «parfumerie»», souligne Thierry de Baschmakoff, directeur artistique de l’agence La French Company.
«La durabilité, sur le plan du flacon, se traduit par un produit pouvant être monomatière, et / ou fabriqué avec des matériaux recyclés, ou par un flacon remplissable très luxueux et qualitatif», confirme Marie-Aude Flori, co-fondatrice de l’agence de design packaging et création graphique De Vog. Le col à vis est désormais beaucoup demandé dans les briefs, pour un flacon réutilisable – voire nomade, à l’instar du Cœur La Petite Robe Noire de Guerlain, en 20 ml. Les formats de petites contenances se développent. «Nous sommes aussi consultés par des marques de parfum pour une version solide de leur produit : le packaging implique alors un autre design et une réinterprétation des codes de la marque», ajoute Marie-Aude Flori. Elle note deux autres tendances : «le marché devient plus premium, avec l’arrivée de marques niches, le lancement de parfums originaux et de collections privées créées par de grandes marques. Le flacon devient alors une incarnation de la marque, en exprimant l’ADN de celle-ci. Par ailleurs, au niveau de la communication, les marques veulent incarner le bien-être. Le parfum s’inscrit dans l’émotionnel, le sensoriel. Tout cela doit se traduire en design !», résume-t-elle.

Des formes simples, avec un détail travaillé dans le verre
Du côté des marques de niche, les designers constatent une forme de standardisation pour le flacon carré ou rectangulaire assorti d’un bouchage noir et d’une étiquette souvent blanche. Un choix sans doute dû initialement à une question de coût. Mais certaines s’en affranchissent. Jules Dinand, petit-fils de Pierre Dinand (l’auteur de nombreux flacons connus), remarque que la simplicité des formes n’empêche pas le soin du détail. Il a par exemple dessiné les flacons de la marque française Headspace. «Je me suis inspiré des petites fioles utilisées par les parfumeurs pour leurs créations afin de concevoir un flacon 100 ml avec un capot luxueux dans sa conception», détaille-t-il. «On ressent un besoin d’ancrage, qui pousse vers des formes minimalistes – ovales, rectangulaires, carrées. Ces formes simples peuvent être modernisées. Le verre se pare d’effets (frosted et autres), est texturisé, travaillé en relief pour apporter un coté sensoriel. Le flacon Lancôme La Vie est belle Iris Absolu, avec ses stries, est un exemple, tout comme celui du premier parfum de Balmain. On sculpte le poids de verre, on apporte des lignes, à l’instar du flacon Si passione Intense d’Armani», détaille Marie-Aude Flori. Le flacon massif du dernier parfum de la marque Céline, Zouzou, affiche lui sur deux de ses faces des cannelures lui conférant un coté «art déco». Pour le designer Jules Dinand, «on voit en ce moment des flacons aux formes simples, génériques, mais comportant un détail qui signe l’identité de la marque et met en avant son patrimoine». Pour sa collection de sept senteurs (en hommage à sept personnalités ancrées dans son histoire familiale), la marque Fendi a, par exemple, repris la courbure d’une arche, visible dans le verre du flacon, en clin d’œil à un ancien flacon de la maison. Thierry de Baschmakoff constate, lui, que «les formes figuratives – que l’on retrouve sur les flacons Scandal de Jean-Paul Gaultier ou Fame de Paco Rabanne– renouent avec une certaine parfumerie. C’est un retour à l’engouement des objets qui racontent une histoire du début du 20ème siècle !», sourit-il.

Des références aux éléments emblématiques des maisons
Le décor fait aussi référence aux éléments iconiques des marques. «Parmi les derniers lancements, nous remarquons un jeu d’insert de pièces métalliques (ou assimilées) reprenant des emblèmes de marques. C’est le cas sur le flacon du parfum Barénia d’Hermès : les clous pyramidaux au niveau de l’épaule s’inspirent du bracelet Collier de Chien de la maison. Idem pour le parfum Million Gold de Paco Rabanne, qui se pare d’un maillon du bijou ancré dans l’histoire de la maison (le collier XL Link, NDLR)» souligne Marie-Aude Flori. Les flacons de la Collection Rabanne sont également ornés d’un autre bijou emblématique, le fameux «Eight». Quant aux capots, ils restent majoritairement fabriqués en injection plastique, avec actuellement beaucoup de pièces noires, laquées et/ou texturées. Question de prix aussi : des pièces en bois, en bakélite ou en métal coûtent cher à produire. On remarque tout de même quelques capots en bois, bénéficiant parfois de traitements de surface tels que l’on en oublie la matière première (cf photo 1, capot en bois de Minelli). En termes de décoration, la métallisation a le vent en poupe, tout comme «le retrait au laser. L’outil progresse et permet plus de folie, de liberté – comme le démontre la robe ajourée du flacon Fame de Paco Rabanne. Mais nous sommes aussi soumis à des contraintes budgétaires, tout en devant trouver de l’originalité pour apporter de la personnalité à un flacon standard. Cela nous challenge. Par exemple, j’ai utilisé un motif d’art cinétique sur le flacon rectangulaire de la marque Aether, réalisé en sérigraphie», décrit Jules Dinand. A l’extrême inverse, plusieurs marques de luxe ont dévoilé des flacons de parfum exceptionnels, numérotés, conçus en collaboration avec des créateurs et des artisans. L’architecte Frank Gehry, à l’origine du design de la Collection des Extraits de Louis Vuitton, a réinterprété le capot, fabriqué par un maître verrier italien pour une édition limitée. Dior a collaboré avec l’architecte d’intérieur et designer India Madhavi pour le flacon Dior J’Adore – dont le col se déploie en spirale de verre décorée d’or, œuvre de verriers italiens également. La designer Anne Lopez a elle réalisé l’édition limitée (4885 pièces) du parfum Muguet Millésime 2024 de la Maison Guerlain. Elle a travaillé sur l’iconique Flacon aux Abeilles, en y apportant «des clochettes façonnées en stuc et rehaussées à l’or fin 22 carats. Je travaille avec une matière minérale dont le rendu sera unique sur chaque flacon. Le blanc et le doré sont mes couleurs phares, elles fonctionnent toujours bien avec le parfum et le verre. Pour moi, le flacon est comme un bijou, j’aime l’idée qu’on y ajoute un savoir-faire pour en faire un objet qui puisse être conservé, réutilisé», souligne-t-elle.

Les couleurs « peps » à l’honneur
Quant à la couleur, elle ne se cache plus ! D’un côté, les flacons transparents dévoilent des jus colorés – comme ceux de la Collection Anatomy of Dreams de Valentino. De l’autre, les flacons se colorent en version monochrome. «Les marques et les consommateurs acceptent des flacons qui ne sont plus transparents, qui ne permettent pas de voir le jus. Les technologies de laquage intérieur et extérieur ont favorisé cela. Récemment, l’utilisation de couleurs vives s’est libérée, comme par exemple pour les flacons des parfums L’Interdit Rouge ou L’Interdit Absolu de Givenchy, les derniers parfums Gucci Flora, ou les flacons créés pour notre marque J.U.S», remarque Thierry de Baschmakoff, cocréateur de J.U.S avec Brigitte Wormser et Jean-Baptiste Roux. «Les jus semblent évoluer vers plus de concentration : cela se traduit par le lancement d’extraits, d’élixirs, d’absolus… Au niveau du pack, cette tendance peut être représentée par des teintes sombres dégradées. Pour les eaux de parfum Intenses de la Collection Particulière de Givenchy, nous avons travaillé sur un dégradé de noir pour le flacon, associé à des bouchons noirs avec un empiècement métal», décrit Marie-Aude Flori. L’agence De Vog avait d’ailleurs identifié quatre tendances couleurs pour 2024 : des teintes vives, audacieuses (rouge, fuchsia, jaune acidulé…) ; des effets métalliques ; des tons nudes et naturels pour un coté épuré, minimaliste… et du rose !