Emballages fruits & légumes : la profession dans l’attente d’un nouveau texte
publié le mercredi 26 avril 2023
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La suspension du décret concernant les fruits et les légumes a mis un frein temporaire au mouvement de transition qui s’opérait dans la profession. En attendant d’être fixé par un nouveau texte, les fournisseurs continuent de développer des solutions qui s’orientent principalement sur le carton et le papier.
Le 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat a annulé le décret 2021-1318, qui établissait une liste d’une quarantaine de fruits et légumes pouvant encore être vendus sous emballage plastique, avec une dérogation limitée dans le temps. «A la demande de plusieurs syndicats professionnels qui contestaient cette liste, les avocats ayant saisi le Conseil d’Etat ont souligné que le calendrier progressif défini par le gouvernement n’était pas légal. Le Conseil d’Etat a donc annulé le décret, l’estimant non-conforme à la loi», explique Maître Sylvain Martin, avocat au barreau de Paris, spécialisé dans le droit de l’emballage. Un nouveau projet de décret a été soumis à consultation publique par le gouvernement dès le 15 décembre 2022 : celui-ci recense 25 fruits et légumes qui pourraient être exemptés définitivement de l’interdiction des emballages plastiques. La liste est donc plus courte que celle initialement proposée, mais les exemptions définitives. La Commission Européenne a décidé de bloquer ce nouveau projet de décret jusqu’à la fin de l’année 2023, conformément à la procédure TRIS (qui vise à empêcher la création d’obstacles au sein du marché intérieur avant qu’ils ne se concrétisent).
«Quand le décret a été retoqué en décembre dernier, ce fut la stupeur chez les clients. Pour certains, en retard, ce délai supplémentaire a finalement été un soulagement pour mieux se préparer. On est dans l’attente du prochain décret. La dynamique s’est un peu ralentie provisoirement. Il est peu probable que l’on revienne en arrière : chacun est conscient de la transition en cours et de l’abandon du plastique à terme. Les distributeurs et les consommateurs poussent dans ce sens», note Gilles Coste, chef de marché des emballages fruits et légumes pour DS Smith. La loi AGEC a suscité une grosse augmentation des demandes pour des solutions vertueuses, malgré une différence de coût importante par rapport aux solutions en plastique. Suite à la suspension du décret, «la continuité de cette demande va surtout dépendre de la grande distribution.
On sent cependant un ralentissement. Nous sommes dans l’expectative, sans savoir si les potentielles prochaines règles seront plus restrictives – ou moins. Mais nous continuons à développer des solutions plus durables», souligne Christophe Pichon, directeur régional Nord Île de-France Emballage Fruits et Légumes du groupe Filpack. La société propose une vaste gamme de produits : filets en cellulose (compostables industriellement), étiquettes, sachets en papier micro-ondable, sacs en papier avec fenêtre en cellulose, barquettes en carton… «Beaucoup d’actions ont déjà été engagées pour passer des barquettes en plastique à celles en carton. La transition se passe très bien pour de nombreux fruits et légumes, comme les tomates, les pommes, les clémentines… Nous avons développé une gamme complète pouvant répondre à divers marchés, y compris les plus délicats comme les fruits rouges, les baies ou les champignons», indique Gérard Mathieu, directeur marketing et innovation de Smurfit Kappa France.
Carton : le challenge de la visibilité
Parmi les nouveautés sur les emballages en carton, les ajourements sont de plus en plus esthétiques et sur des pans complets du pack, et la fonctionnalité, tant industrielle qu’à l’usage, prévaut. «Pour faciliter la mise en volume et accélérer le montage chez les producteurs, un de nos concepts de paniers livrés à plat est conçu avec un fond automatique et une poignée déjà montée en usine. D’autres formats de barquettes ou paniers possèdent des poignées pouvant se clipser sur elles-mêmes afin d’éviter la colle ou les agrafes », précise-t-il. En termes de mécanisation, les cadences peuvent atteindre jusqu’à 80 barquettes par minute. Smurfit Kappa a investi dans des machines à double piste afin de doubler les cadences. «Certains clients – surtout ceux à fort volume et/ou travaillant avec la grande distribution – investissent également pour être en mesure de conditionner dans leurs usines, à la fois pour rester autonome et pour un aspect économique», ajoute-t-il.
Les équipes de Smurfit Kappa travaillent sur des fenêtres en cellophane, ou des barrières à la graisse et à l’eau sans vernis à base de polymère. «Nous utilisons surtout de la fibre vierge pour nos gammes, ce qui permet dans beaucoup d’applications de ne pas avoir besoin de rajouter une barrière, car la fibre vierge est plus résistante à l’humidité. Couplée à un design adapté, elle permet en outre d’utiliser des grammages inférieurs par rapport à un carton recyclé. Sur le marché de la barquette, choisir du kraft ou un carton recyclé dépend du produit et du conditionnement. Si la totalité de l’emballage est en carton – c’est-à-dire sans flowpack – on va plutôt opter pour de la fibre vierge», indique Emmanuel Tracol, chef de marché Fruits et Légumes sur la France pour Smurfit Kappa.
Répondre aux contraintes logistiques
Les barquettes doivent aussi parfaitement s’adapter aux emballages de transport. Les formats et design varient donc peu. «Pour l’inviolabilité du produit – auparavant assurée par le flowpack – on ferme les barquettes, soit avec des rabats, soit avec un couvercle, attenant ou pas. Nous avons développé une base en carton ondulé et une coiffe en carton plat intégrant des découpes pour la visibilité du produit», précise Gilles Coste. A l’inverse, certains légumes supportent mal la lumière : pour un client conditionnant des pommes de terre, DS Smith a par exemple conçu une barquette ventilée, dont les orifices sont situés sur le fond de l’emballage. Mais la première problématique à traiter reste la capacité des fruits et légumes à transmettre leur degré d’hygrométrie. «Si le taux d’hygrométrie est important, on privilégie le kraft : ses fibres longues sont plus résistantes, tout comme ses performances mécaniques. Nous travaillons sur des barrières à l’humidité en surface ou dans la masse, pour apporter d’autres caractéristiques physiques à la fibre de cellulose», détaille-t-il. Pour les légumes très humides, comme les champignons ou les carottes lavées, les papiers sont donc traités spécifiquement. Les herbes aromatiques fraiches sont hyper sensibles : elles se déshydratent au profit du matériau d’emballage. Pour l’instant, elles sont toujours conditionnées dans du plastique. Ce type d’aliment avait une dérogation jusqu’au 31 décembre 2024. Les fournisseurs doivent inventer de nouveaux emballages adaptés.
Continuer de réduire la part de plastique
Sous l’entité Saica, Saica Pack propose des emballages à base de papier (principalement recyclé) pour les fruits et les légumes, et Saica Flex des solutions en contact direct avec les produits, en monomatière ou en papier. Parmi les nouveautés de l’entreprise, la barquette Saica Seal, en micro-cannelure, permet le scellage d’un film en PET faisant office de couvercle. «Un revêtement sur le bord de la barquette assure le scellage. Les rabats doivent rester à l’horizontal du pack afin que le couvercle puisse être collé : avec les fabricants de machines, nous avons dû mettre au point des outils spécifiques pour cela. Nous avons développé un couvercle en papier. Certains papiers sont translucides mais ce n’est pas assez transparent : nous réalisons donc des trous dans le couvercle», décrit Miguel Angel Martinez, directeur commercial et marketing chez Saica Pack, et directeur de projet du plan commercial chez Saica Flex. Autre nouveauté : la barquette Saica Skin, pour les produits plus sensibles et/ou humides – pomme coupée, framboises… «L’intérieur de la barquette est recouvert de plastique, puis celle-ci est fermée par un film en plastique également. Pour recycler le carton, le consommateur peut retirer l’ensemble du plastique», explique-t-il.
Des bandeaux en papier plus résistants
Saica Flex conçoit également des bandes de regroupement en 100% papier. «Ce type de bande est nouvelle et rencontre du succès. Son développement est complexe, car le papier se détend avec l’humidité des fruits et légumes. Nous avons pu créer un bandeau solide, résistant à l’humidité grâce à un traitement spécifique des fibres et à leur construction. Nous faisons évoluer ce bandeau avec une solution sans liner : la bande sera enroulée sur elle-même, avec juste un point de colle qui n’endommage pas le papier», assure Miguel Angel Martinez. Prochain défi concernant ces bandeaux habituellement appliqués manuellement : commencer à automatiser le process. Saica développe également des étiquettes en papier pour les filets, ou à coller sur les couvercles des barquettes en carton. Une offre de flowpack en papier, avec un traitement permettant le scellage, est en outre disponible pour certains produits, comme les fruits secs. «On voit clairement une évolution de la demande pour des bandes en papier, soit pré-imprimées et en contact direct avec les produits – comme des courgettes, des poireaux…, soit autour d’une barquette en carton avec des rabats, pour la fermer», souligne Michael Stadler, directeur général d’ATS France. La société ATS Tanner a récemment lancé un bandeau en 100% papier, baptisé True Paper, avec un vernis à base d’eau pour la soudure. «Il est possible de réduire encore plus la quantité de vernis lorsque l’on sait à l’avance la taille de la barquette. On met alors uniquement du vernis sur une petite partie de la bande», ajoute-t-il. Cette bande peut aussi être fabriquée avec 50% de fibres recyclées (une couche de fibre vierge est au contact du produit). «Nous ne pouvons pas utiliser un pourcentage de recyclé plus important car cela pourrait compromettre la stabilité et la tension de la bande», note-t-il. La société travaille sur une version tout papier résistant mieux à l’humidité. Car le bandeau True Paper convient surtout aux produits secs, comme les bananes. L’ancien décret interdisait les bandes mêlant papier et plastique, adaptées aux produits humides. Suite à sa suspension, «pour l’instant, on peut encore les utiliser ! Notre solution, avec 15 microns de PP et une majorité de papier, reste recyclable. Nous cherchons à réduire encore la part plastique : on peut le faire en augmentant l’épaisseur du papier, mais cela n’aurait pas de sens», estime Michael Stadler.
La cellulose pour des usages multiples
Filpack a mis au point un filet en cellulose (à base d’eucalyptus) avec une bande en papier et un scellage colle – une solution complexe car sans soudure. «Nous tenions à conserver les mêmes machines pour que les clients n’aient pas à réinvestir. Quelques ajustements ont été nécessaires pour changer le système de déroulement des films, et changer les fers pour le scellage, ainsi qu’un kit spécifique. Le fil en cellulose est en outre plus long à tricoter car plus fragile. Cette matière «vivante» implique de colorer les filets en amont, contrairement à ceux en plastique, matériau inerte», explique Christophe Pichon. Autre nouveauté : le sachet en papier micro-ondable, pour des pommes de terre par exemple. Ce papier spécifique supporte la chauffe et l’humidité, et passe dans les ensacheuses classiques après de petites modifications. Le papier et le carton seront sans doute de plus en plus visibles dans les rayons fruits et légumes ces prochaines années.