Pots de yaourt : la difficile transition vers la circularité
posted Monday 30 September 2024
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La problématique du recyclage des pots de yaourts en PS – matériau majoritaire sur ces produits en raison de son efficacité industrielle et économique – est un sujet récurrent. La mise en service à l’automne d’une usine de recyclage chimique des emballages en PS en Belgique ouvre une nouvelle voie. En parallèle, les industriels continuent de s’intéresser à des solutions alternatives, comme le carton, d’autres plastiques, le verre ou encore le réemploi.
En France chaque année, environ 15 milliards de pots de yaourts sont consommés. 70% de ces emballages sont en plastique – et principalement en polystyrène (PS). Désormais, les pots de yaourt rejoignent la poubelle jaune grâce à l’extension de tri – puis bénéficient d’un sur-tri (un tri «à la résine»), le PS faisant partie des «flux développement» financés par l’éco-organisme Citeo. Problème : dans les faits, peu de pots sont encore effectivement recyclés. La filière de recyclage spécifique pour le PS, avec à sa tête le Consortium PS25 – créé sous l’impulsion entre autres de Syndifrais – prenant du temps à monter en puissance. Le sujet divise régulièrement et a encore suscité polémique dans la presse grand public cet été (voir p.5 du numéro de Juin 2024), pointant le lobbying des industriels laitiers afin de maintenir le PS en dehors du champ d’interdiction des matériaux sans filière de recyclage, prévue dans le cadre de la loi Climat et résilience dès 2021.
Le recyclage chimique des pots en PS bientôt opérationnel en Belgique
En répondre à ces attaques, Citeo a rappelé que tous les emballages en PS collectés dans les bacs de tri et triés en centre de tri sont, depuis plusieurs années déjà, recyclés mécaniquement dans l’usine Eslava de Valence, en Espagne. «Ce qui va changer en 2025, c’est que ces emballages vont désormais pouvoir rejoindre une nouvelle filière de recyclage en boucle fermée, c’est-à-dire pouvoir redevenir des pots de yaourt alors qu’ils étaient jusqu’à présent valorisés en cintres ou en pots de fleurs. Ce projet a été rendu possible par les investissements de l’ensemble des acteurs de la filière et via la construction d’une usine de recyclage chimique à Anvers en Belgique, soit à 100 km de la frontière française. Une avancée qui repose également sur la simplification du geste de tri et l’investissement récent dans trois centres de sur-tri spécialisés qui vont pouvoir trier 70 000 tonnes d’emballages plastiques par an. L’ensemble de ces démarches industrielles demande en effet du temps», a réagi Jean Hornain, directeur général de l’éco-organisme en marge de l’inauguration du centre de sur-tri d’Epinal en juin dernier. Pour atteindre cette boucle fermée du PS, le projet d’Indaver a en effet été retenu suite à l’appel à projet de Citeo en 2023. L’usine située à Anvers, en Belgique, dont l’inauguration est prévue fin 2024 permettra de traiter en recyclage chimique 80% du gisement des pots en PS collectés sur un gisement estimé à 60 000 tonnes. L’objectif de cette filière est de recycler à terme au moins 10 000 tonnes par an d’emballages en PS (pots et barquettes). «Il fallait que ce projet soit économiquement viable. Les industriels adhérents de Syndifrais se sont engagés à maintenir les volumes de PS mis sur le marché pour assurer un gisement suffisant, et à réutiliser la matière recyclée. Il reste nécessaire d’améliorer la collecte, et nous devons en outre travailler l’optimisation de la conception des pots en PS afin que le taux de recyclage soit le plus important possible. Les process existants conditionnent le choix du matériau : actuellement 60% des lignes d’emballages de yaourts sont de type Form-Fill-Seal, principalement en PS, et assurent une cadence élevée de 40 000 à 80 000 pots par heure, qui répond au besoin de la grande distribution. Ces lignes très opérationnelles permettent d’offrir des produits accessibles aux consommateurs. Rappelons que les yaourts sont des produits à faible valeur ajoutée, et les capacités d’investissement des acteurs du secteur – des coopératives et des entreprises privées – sont limitées. Changer des lignes pour d’autres solutions coute très cher», explique Muriel Casé, déléguée générale de Syndifrais.
L’atout économique du PS pour un produit de masse
Depuis quelques années, des industriels testent et / ou adoptent des solutions alternatives au PS. Le consortium en a également évalué. «Nous avons vérifié la compatibilité du PET avec les lignes FFS, mais ce matériau ne montre pas les mêmes propriétés de sécabilité que le PS, et nécessite 20 à 30% de matière supplémentaire pour former les pots. Un pot en PS pèse entre 3 et 5 g, et un pot en PET 5 à 6 g», souligne Muriel Casé. Sur le marché des produits laitiers, 40% des lignes d’emballages de yaourt sont de type «fill-seal», utilisant des emballages préformés (carton, verre, aluminium et plastiques comme le PP ou le PET). Cette solution FS, dont la cadence est moins élevée, convient en général à des volumes moindres. «Sur le pot de yaourt, le plastique est majoritaire. Le verre représente environ 6% des pots. Il est plutôt choisi pour des gammes premium. Concernant le carton, beaucoup de travaux de R&D sont en cours pour améliorer ses performances. Pour l’instant, les pots doivent être paraffinés ou recouverts d’un film plastique pour assurer une barrière à l’humidité. Nous nous intéressons à l’axe du réemploi via le projet ReUse de Citeo, avec des bocaux en verre de 450 g, ou des emballages en plastique de grande contenance. Nous avons lancé une étude pour connaitre le degré d’acceptabilité des consommateurs à cette solution», indique Muriel Casé.
Diverses initiatives sont portées par les entreprises. Yoplait a, par exemple, dévoilé début 2024 un yaourt brassé en brique format familial (750 g). La marque assure que cette brique éco-conçue réduit la quantité d’emballage de 50% par rapport à un pack Yoplait de 6 pots 125 g. A voir si ce nouveau format, qui implique une nouvelle gestuelle, séduira les consommateurs. En 2021, Danone avait fait le choix de transformer plusieurs lignes de production FFS en Belgique et en France, passant des pots en PS à des pots en PET (intégrant du rPET). Le groupe vise 100% d’emballages réutilisables, recyclables ou compostables d’ici 2030, et diversifie ses emballages : pour sa marque Alpro, il utilise de grands pots en PP entourés de carton souple, ou encore, pour sa marque Skyr, des pots en carton d’une contenance de 480 g. Pour son yaourt nature historique, Danone avait aussi testé la consigne en verre via un partenariat avec Loop dans certains magasins Carrefour.
Les alternatives au PS, destinées aux yaourts milieu de gamme et premium
Outre le PS, les pots de yaourt peuvent être fabriqués en différents plastiques. Certaines marques – comme Les 2 Vaches (filiale Les Prés Rient Bio de Danone) – ont fait le choix du pot en PET ou en PLA. Ce bioplastique présente le principal avantage d’être biodégradable et compostable sous certaines conditions industrielles, à plus de 60 degrés. Des conditions pas toujours réunies… Le groupe Carbios a donc cherché et trouvé une enzyme facilitant et accélérant la biodégradation du PLA à température ambiante (même dans un compost domestique) sans résidus toxiques ni microplastiques. Carbios Active, cette solution enzymatique, est intégrée directement au cœur du plastique lors du processus de transformation, à hauteur de 5%. «Nous réalisons un masterbatch avec une enzyme spécifique, très résistante et efficace, et un polymère. Ce masterbatch est ensuite introduit dans le PLA. Il reste inactif pendant toute la durée de vie du produit, sans en altérer les propriétés mécaniques. Une fois l’emballage collecté et dans des conditions de compostage, l’enzyme encapsulée devient active, permettant à l’emballage de se désintégrer rapidement. Un pot de yaourt se biodégrade en quelques semaines», assure Alain Marty, directeur scientifique de Carbios. En parallèle, le groupe construit actuellement une usine de biorecyclage du PET dans l’Est de la France, qui permettra le recyclage enzymatique de tout type de PET (clair, opaque, complexe, etc.). «Nous utilisons une enzyme qui dégrade spécifiquement le PET. Elle permet la dépolymérisation du matériau pour revenir à une qualité équivalente au monomère vierge, dans un process sans solvant et à température douce», précise Alain Marty. Le PET est apprécié pour sa recyclabilité. Chez Acti Pack, Ludovic Allirand, responsable commercial de la division agroalimentaire, constate une augmentation des demandes pour des pots en PET à destination de yaourts dont «le positionnement se situe sur le milieu et haut de gamme. L’opercule peut également être proposé en PET. Ce produit monomatière 100% recyclable, inerte, plait pour sa légèreté, sa solidité et ses propriétés barrière. Nous le fabriquons en injection soufflage, à l’unité – ce qui explique que les pots ne sont pas empilables, car ce process industriel implique un col plus étroit que la base», décrit-t-il. Actipack propose deux modèles standards 120 ml (un cylindrique, un conique) pouvant intégrer du rPET.
Le choix d’un matériau aussi porté par une conviction, ou une image de marque
Le réseau Invitation à la ferme a lui opté pour des pots en PP pour les produits laitiers fabriqués dans ses 43 fermes bio et indépendantes en France. Jean-Michel Péard, propriétaire de la Ferme Péard et président du réseau, a basculé en 2013 du pot en verre à celui en PP. «Nos seaux de 5 et 10 litres étaient déjà en PP. Ce matériau nous semblait la moins mauvaise option : il est monomatière, recyclable, thermoscellable, fabriqué en France. Les pots sont légers (4,5 g) et empilables. Nous utilisons des cartonnettes pour tenir ensemble les quatre pots de yaourt. Les consommateurs ont la possibilité de rapporter les pots en magasin : nous en récupérons ainsi entre 10 et 15%», détaille-t-il. Après tri, les pots en PP sont déposés chez un spécialiste du plastique qui les décycle – car pour l’instant, le recyclage mécanique du PP ne permet pas son retour au contact alimentaire. Jean-Michel Péard a commencé à produire des yaourts en 2007, en adoptant le pot en verre dans l’idée de mettre en place un système de consigne. «C’était sans doute trop tôt, ça n’a pas fonctionné. Puis j’ai réalisé que le pot en verre n’était pas l’idéal sur le plan de l’empreinte carbone car sa production est énergivore. Les pots sont lourds, non empilables, l’étanchéité n’est pas garantie avec l’opercule, et je craignais la casse lors de la manipulation – notamment dans les cantines», ajoute-t-il. Le pot en verre reste toutefois choisi par certaines marques pour son aspect noble, premium, et ses qualités intrinsèques : durable, recyclable à l’infini, transparent, résistant aux hautes températures, inerte… Le pot en verre est également puissant en termes d’image, à l’instar des historiques pots de la marque La Laitière (Lactalis-Nestlé).
Bientôt un pot en carton sans film plastique ?
Quant au pot en carton, «il croît sur le segment des yaourts premium, élaborés avec des produits nobles à base de lait de brebis par exemple, ou issus du terroir et / ou biologiques. Nos clients apprécient ce matériau renouvelable, et un approvisionnement de proximité pour leurs contenants», constate Claire Schisler, directrice Supply Chain et Innovation de CEE Schisler Packaging Solutions, spécialiste français des emballages en papier et carton. La société fabrique depuis 2023 des pots de contenance 125 g en deux diamètres. Composés à 80% de carton (en grammage 260 g/m), ils contiennent deux couches de film PE (intérieure et extérieure) afin d’assurer la conservation du yaourt. La date limite d’utilisation optimale atteint les 60 jours, comme avec les autres matériaux. «Nos pots, empilables, sont conçus avec un bord plat afin d’assurer le scellage hermétique de l’opercule. La tranche est renforcée pour éviter toute entrée d’air et garantir l’étanchéité du contenant. Le film plastique est délaminable sans difficulté au moment du recyclage», détaille-t-elle. Même si les pots sont déjà recyclables dans la filière papier-carton, la société vise à réduire encore la part de plastique et ambitionne même d’ici quelques mois de dévoiler un premier pot en carton sans film plastique. «Nous avons réussi à concevoir un gobelet boisson en carton sans film plastique et nous tentons de transposer cela au pot pour yaourt. Cela nécessite d’enduire la surface du carton d’une substance aqueuse, sans persistance dans l’environnement mais qui doit également être compatible avec le scellage et les contraintes de conservation du produit fini», explique Claire Schisler. Pour la décoration des pots, la société – qui dispose d’un studio graphique intégré – propose une impression en flexographie, à base d’encres à l’eau sans solvant. «Nous finalisons l’installation d’un outillage sur nos machines existantes afin de produire des pots plus petits en hauteur et plus larges, en diamètre 95, dans le but de répondre aux besoins du secteur des produits tartinables et du fromage frais. Nous devrions également être en mesure de produire des pots de contenance familiale courant 2025», révèle Claire Schisler.
Un probable report de l’interdiction des polymères non recyclables
Les pots de grande contenance (entre 400 g et 1 kg) sont en de plus en plus visibles dans les rayons des GMS et des magasins de type bio. Il s’agit en général de produits très consommés (comme le fromage blanc, le yaourt nature ou à la vanille) ou de produits de spécialité (au lait végétal, etc.). La contenance est idéale pour les familles, mais implique de consommer le produit rapidement après ouverture. Idem pour les yaourts en vrac, pour lesquels l’offre (en fontaine par exemple) reste pour l’instant limitée. Mais pour Jean-Michel Péard, c’est la solution la plus vertueuse. Le réseau Invitation à la ferme propose dans certains magasins des yaourts en seaux de 5 kg : le consommateur apporte son contenant pour se servir. Une fois vide, le seau est récupéré et réutilisé. La vente de yaourts en vrac présente toutefois des défis spécifiques en matière d’hygiène, impliquant des mesures strictes pour garantir la sécurité des produits. Ces deux alternatives restent minoritaires. Concernant la majorité des pots, les industriels pourraient bénéficier d’un délai supplémentaire quant à la recyclabilité des emballages en PS. «Dans la mesure où la loi et la directive (sur les emballages et déchets d’emballages, NDLR) ne sont pas encore entrées en vigueur, il semble raisonnable de reporter l’interdiction de 2025 à 2030, afin d’éviter tout risque de surtransposition et de laisser le temps aux projets de résines plastiques d’aboutir», a indiqué Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité (ndlr : à date lors de l’écriture de cet article), lors d’une séance de questions-réponses au Sénat début juin.