Le marché de l’emballage carton à l’épreuve
publié le mercredi 23 novembre 2022
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Le secteur de l’emballage carton traverse une année 2022 mouvementée, pleine d’incertitudes. Malgré des demandes constantes – voire en hausse sur certaines catégories – les coûts croissants de l’énergie, des matières premières et le manque de capacités de production pénalisent cette industrie.
L’industrie des emballages papiers comporte trois sous-secteurs : les emballages en carton ondulé (produit à partir de PPO, papier pour ondulé), les emballages en carton plat et les emballages souples. Le PPO et les emballages en carton ondulé constituent la locomotive du secteur des cartons et papiers d’emballage. Après une année 2021 particulièrement faste, la demande pour du PPO fléchit. «La production de carton ondulé est en baisse de façon importante depuis mai 2022. En cause : la diminution de la consommation due à l’augmentation des prix et au contexte inflationniste. Cette tendance va sans doute se poursuivre», remarque Kareen Desbouis, déléguée générale de Carton Ondulé de France. Selon les chiffres de la FEVAD (fédération du e-commerce), les ventes en e-commerce ont chuté de 17% lors du second trimestre 2022. «Plus de 50% des emballages ondulés sont utilisés par le secteur agro-alimentaire. On n’enregistre pas encore de baisses importantes, mais les observateurs constatent que les consommateurs tendent à descendre en gamme de produits, c’est un signe», ajoute-t-elle. En 2021, les prix des PPO ont été, en moyenne, supérieurs à ceux de l’année 2020 (environ +45 % pour la cannelure) et se sont relativement stabilisés. En termes d’approvisionnement, «nous avons rencontré quelques tensions ponctuelles – surtout dues à des problématiques de transport – mais il n’y a pas de manque chronique en Europe. Le carton ondulé est d’ailleurs un marché régional : il est produit puis livré dans un rayon limité par les coûts de transports», souligne Kareen Desbouis. Le développement de capacité en France concerne principalement le secteur du PPO. Des acteurs reconvertissent actuellement des sites, passant de la production de papier journal ou bureautique à celle de PPO – telles les usines de Norske Skog à Golbey (Vosges), d’Alizay dans l’Eure (reprise par le groupe VPK), ou la papeterie Chapelle-Darblay près de Rouen (désormais propriété de Veolia et Fibre Excellence). Ce mouvement est constaté ailleurs en Europe. «Notre industrie est très européenne, depuis le sourcing des matières premières jusqu’à la consommation et le recyclage. Par exemple, plus de 90% du bois que nous utilisons provient des forêts européennes», constate Winfried Muehling, directeur général de Pro Carton.
Carton plat et emballages en carton plat : des tensions
En 2021, la demande de cartons plats en France, comme en Europe, a été au-dessus du niveau de 2020. En dépit du recul de certains usages (boîtes pâtissières…) et du redémarrage tardif de l’activité du secteur hôtellerie-restauration, les changements de mode de consommation (plats à emporter, livraison à domicile) ont contribué au maintien d’un bon niveau de demande. L’année 2022 s’avère plus tendue. «60% de la production de carton plat est destinée à l’agro-alimentaire. Des micromarchés, comme la pâtisserie, le snacking, les tubes alimentaires (pour chips) ralentissent. Mais le marché des vins et spiritueux fonctionne bien», analyse Philippe de Boisgrollier, délégué général de la Fédération CAP (Cartonnage et Articles de Papeterie). 50% du carton pliant utilisé en France est importé d’Europe du nord. «Les emballages en carton plats sont sensibles à la concurrence étrangère. La fabrication de carton plat en France et en Europe est limitée, et a souffert de la stagnation des capacités. Une nouvelle usine européenne annoncée produira jusqu’à 600 000 tonnes de carton plat, mais elle ne sera opérationnelle qu’en 2025», précise-t-il. A ceci s’ajoutent une pénurie de matière première sur les purs krafts depuis 18 mois et des problématiques de capacité de production au niveau mondial, entrainant plusieurs mois de délais sur certains produits.
Papiers d’emballages souples : demande en hausse
Plus faible en tonnage, la production française de papiers pour emballages souples a fortement progressé en 2021 (+18,7%) grâce au développement de différents modes de consommation (ventes à emporter, sandwicherie, livraisons à domicile, vrac…). L’année 2022 continue sur cette hausse, avec toutefois des tensions dues à une capacité n’ayant pas évolué aussi vite que la demande, portée par la substitution de sacs plastique par du papier. «En France, le groupe Gascogne va investir dans une nouvelle machine à papier, qui sera une des plus importantes au niveau mondial dans ce secteur», souligne Jan Le Moux, directeur économie circulaire de Copacel (l’Union Française des Industries des Cartons, Papiers et Celluloses).
L’impact considérable de la hausse des coûts énergétiques
Très dépendant des énergies, le secteur du papier-carton subit de plein fouet les hausses du coût de l’électricité et du gaz. «Le niveau des hausses est insensé, et l’avenir n’est pas rassurant, car les stocks qui seront consommés cet hiver devront être reconstitués l’an prochain. Et l’ensemble des autres matières premières de l’industrie papetière fait face à des hausses inédites – comme les papiers et cartons à recycler, l’amidon et les produits chimiques, le bois, le transport…» énumère Jan Le Moux. Le risque à court terme – qui se vérifie déjà : un arrêt momentané de la production. «Des usines ont arrêté une seule machine, d’autres stoppent toute la production quelques jours ou semaines. Tous les types d‘entreprises sont touchés, grandes ou petites. Cela dépend beaucoup des stratégies d’achat de l’énergie et des matières premières», constate Paul-Antoine Lacour, délégué général de Copacel. «Les grandes structures se couvrent sur les marchés à terme, mais ceux-ci sont de plus en plus soumis à des opérations de spéculation. Dans les PME, des contrats se terminent : ces entreprises vont se retrouver sur le marché spot, avec des prix hauts et variables. Nos clients – l’industrie agro-alimentaire, etc. – rencontrent également ces problématiques et risquent de diminuer leur production, et donc leur besoin d’emballages… On est aujourd’hui à la croisée des chemins, dans l’expectative», résume Kareen Desbouis. En outre, si la demande baisse, les possibilités de répercuter les hausses sont moindres. Par ailleurs, cette hausse du coût de l’énergie est limitée à l’Europe. «Les volumes d’importations d’Asie ou d’Amérique du Nord n’ont pas cru pour l’instant, mais si le prix de l’énergie reste élevé – avec par conséquent des répercussions sur les prix des emballages – il est possible que cette part augmente», note Paul-Antoine Lacour.
Echéances réglementaires : beaucoup de flou
Les potentiels impacts de certaines règlementations restent flous – voire inconnus. Un nouveau projet de loi porté par le député Jimmy Pahun est en discussion : il cible les plastiques mais, comme les précédents textes, pourra concerner le carton par le fait de définitions trop larges – dans le cas d’un pelliculage plastique, par exemple. «Or, un cadre règlementaire existe déjà avec la directive SUP (plastique à usage unique). Ce projet signifie qu’une règlementation franco-française va remodifier un cadre européen : les industriels vont devoir mettre en place des choses, comme des marquages uniquement pour le marché français», indique Paul-Antoine Lacour. Par ailleurs, la Commission Européenne devrait publier en novembre une révision de la directive sur les emballages et déchets d’emballages : «on sait que notre industrie sera impactée. L’accent est mis sur la réutilisation. Un sujet important porte sur la hiérarchisation des modes de traitement des déchets entre prévention, réutilisation et recyclage… Nous militons pour que le recyclage ou la réutilisation soient bien analysés en fonction de la réalité de leur bilan environnemental. Dans certains cas, réutiliser la matière de l’emballage via le recyclage est plus pertinent que de réutiliser l’emballage lui-même», ajoute-t-il.
En effet, le débat réemploi /recyclage est un débat fondamental pour cette industrie. «Le réemploi est considéré d’office meilleur pour l’environnement, mais ce n’est pas forcément vrai, comme le montre l’étude récente réalisée par le cabinet Ramboll*. Le vrac bénéficie d’ailleurs de la même perception», remarque Kareen Desbouis. «Il est essentiel de maintenir le principe d’évaluation de l’efficacité environnementale dans la hiérarchie de traitement des déchets, via des analyses de cycle de vie qui doivent comparer entre eux des systèmes complets sur tout leur cycle de vie. Ces analyses devraient également considérer l’impact du prélèvement des ressources naturelles et les impacts évités», conclut-elle.
- Etude Ramboll pour EPPA : https://fr.twosides.info/wp-content/uploads/sites/9/ 2021/01/RAMBOLI_RAPPORT_FINALE_VERSION.pdf