Le réemploi : un changement de paradigme majeur
publié le jeudi 29 février 2024
Abonnez-vous à la revue pour lire la suite de l'article
s'abonner
Sur le marché français, des milliards d’emballages réemployables investiront à terme le quotidien des consommateurs, à travers la grande distribution et la restauration. Pour que le réemploi fonctionne, il est nécessaire de transformer les pratiques des acteurs du marché, de miser sur le volume et d’interconnecter tous les acteurs du réemploi, depuis la collecte jusqu’à la logistique, le lavage et la redistribution. Cela passe aussi par la standardisation des emballages réutilisables, qui pourront toutefois comporter un espace de personnalisation. En parallèle, les emballages iconiques de certaines marques devraient continuer à exister. Reste à éprouver le réemploi à l’échelle nationale, à l’épreuve du réel, pour affiner les solutions.
La loi AGEC, votée en janvier 2020, impose aux metteurs en marché 6% d’emballages réemployables en 2024, et 10% en 2027. L’intérêt pour le réemploi est donc croissant, et les initiatives dans le secteur de l’agro-alimentaire se multiplient sur le territoire. Les verriers O-I Glass et Verallia ont, par exemple, été sollicités pour transformer des bouteilles de spécialité en bouteilles réemployables. «Si on envisage plusieurs cycles de vie pour un emballage, il doit être conçu pour cela. Il faut notamment penser aux marques d’usures sur les points de contact. Un gros travail est nécessaire sur la conception des bouteilles réemployables, leur design, la répartition du verre… Nous collaborons aussi avec des partenaires sur l’ensemble de la chaîne pour optimiser le traitement des bouteilles tout au long de leur cycle de vie», souligne Marie-Astrid Gossé, directrice marketing France de Verallia, engagé dans le réemploi depuis plusieurs années. L’année dernière, le verrier a initié un partenariat avec la société Bout’ à Bout’, qui développe une filière de réemploi des contenants en verre. «Nous l’accompagnons et la soutenons techniquement et financièrement. L’entreprise a ouvert la plus grande station de lavage de France, d’une capacité de 60 millions de bouteilles par an à terme» précise-t-elle. Les matériaux plébiscités pour le réemploi sont principalement le verre et l’inox – ainsi que le plastique, dans une moindre mesure. Chacun ayant ses avantages… et inconvénients. Le verre est un matériau neutre, transparent, recyclable à l’infini. «Aujourd’hui, le réemploi permet de donner une vingtaine de vies aux bouteilles, simplement en les récupérant intactes, en les nettoyant et en les réinsérant dans le cycle de distribution», assure Marie-Astrid Gossé. Pour d’autres, le verre est trop lourd, trop fragile. L’inox a l’avantage d’être léger, incassable, et inerte… mais une majorité de contenants en inox ne sont pas compatibles avec le micro-ondes. Quant au plastique réemployable, très léger, il affiche une meilleure empreinte carbone sur toute sa durée de vie, mais peut susciter de l’incompréhension auprès des consommateurs.
Simplifier le réemploi pour les industriels et les consommateurs
Berny a fait le choix de l’inox pour sa solution de barquettes réutilisables pour la GMS, l’industrie agro-alimentaire et la restauration collective. «La barquette est l’emballage le plus utilisé sur le marché – surtout pour des produits frais comme la boucherie, le poisson, le fromage ou la pâtisserie, que l’on peut difficilement faire passer sur du vrac. L’inox nous a semblé le meilleur compromis», résume Olivier de Kerimel, cofondateur de Berny. L’entreprise a conçu des contenants en différents formats et profondeurs (450 ml, 600 ml, 1L, ainsi que des nouveautés à venir) avec un studio de design, et les fait fabriquer en France. Elle collabore avec des fabricants de machines – Guelt notamment – concernant l’operculage. Pour les supermarchés déjà équipés de machines operculeuses, une simple adaptation est nécessaire pour sceller un film spécial inox. Berny organise le parcours consommateur, la logistique. «Nous simplifions la vie à nos clients en fournissant les services adaptés au réemploi. Le dispositif fonctionne avec un principe de consigne (2€ la petite barquette, 3€ la grande). Le consommateur rapporte ses contenants en magasin ou en borne de collecte. Un transporteur les récupère, ou bien ils sont massifiés dans les entrepôts des enseignes avant de partir au centre de lavage le plus proche», explique-t-il. L’entreprise couvre actuellement cinq régions et collabore avec de grandes enseignes – Système U, Intermarché, Carrefour, E.Leclerc et bientôt Auchan – ainsi qu’avec des industriels de l’agroalimentaire : «des produits de grandes marques seront lancés en 2024. Ces emballages resteront standards, et s’intégreront donc dans la même logistique», précise-t-il. Actuellement, Berny totalise un parc de 150 000 barquettes. «Dans les magasins, entre 500 et 1500 contenants sont consommés chaque mois, pour un taux de retour de 65 à 85% selon les lieux. Les consommateurs doivent aussi apprendre à passer d’une logique de propriété à un autre système : le bien commun», sourit Olivier de Kerimel.
Le dispositif ReUse, pour « massifier » le réemploi en France
Citeo, les industriels et les distributeurs du secteur agroalimentaire se sont engagés dans un processus de réemploi à l’échelle nationale avec le dispositif ReUse. Celui-ci s’appuie sur la standardisation des opérations en magasin et hors magasin, ainsi que des emballages pour qu’ils soient collectés, lavés et réutilisés de façon harmonisée sur l’ensemble du territoire. L’éco-organisme envisage à maturité du dispositif une vingtaine de références standards– «une hypothèse cohérente selon l’utilisation globale modélisée, mais cela pourra évoluer selon les besoins, ce qui fonctionne ou pas…», précise Sophie Nguyen, directrice réemploi et vrac pour Citeo. Le designer expert en éco-conception Fabrice Peltier a été chargé de les concevoir. Il a dégagé de ses recherches des prérequis – outre le fait que ces emballages soient adaptés à toutes les contraintes du réemploi (facilité de lavage, robustesse, etc.) : ils doivent être compatibles avec les lignes existantes, permettre aux marques une personnalisation – avec un maximum de possibilité d’étiquetage, et porter un signe distinctif immédiatement compréhensible et reconnaissable par le consommateur (un «R» avec un cœur en son centre, suivi de la mention «réemployable»). «Nous travaillons avec les marques depuis le début du projet sur la définition de ces standards et de recommandations harmonisées. On constate globalement que tous les acteurs de la boisson sont partants pour expérimenter le réemploi. Sur l’alimentaire, il y a de l’intérêt pour les produits appertisés, comme les conserves de légumes, de fruits, les compotes, ou encore les produits frais comme le yaourt. On constate également une mobilisation concernant les produits préparés en magasin – viande, poisson, charcuterie…», détaille Sophie Nguyen. Outre le secteur de la grande distribution, la restauration s’intéresse également au réemploi, générant d’autres problématiques liées à la multiplicité des contenants nécessaires et des positionnements. L’enveloppe de Citeo pour le développement du réemploi s’élève au total à 400 millions d’euros à horizon 2029, soit environ 50 millions d’euros par an, répartis sur divers appels d’offres. «Si une marque utilise un emballage en plastique dont l’équivalent standard est en verre, Citeo peut aider à financer la ligne adaptée au réemploi », donne pour exemple Sophie Nguyen. L’objectif est aussi de faire participer les acteurs du réemploi comme Berny, Pyxo ou Petrel qui travaillent tous avec Citeo.
Une gamme d’emballages standards… et des iconiques
Six premières références en verre seront disponibles pour l’étape d’activation, espérée courant 2024 : quatre bouteilles (1L à goulot étroit, 1L à goulot large, 75 cl et petit format de teinte ambrée
à destination de la bière), et deux pots (450 et 720 ml). Le groupe Verallia a répondu à l’appel d’offres de Citeo et accompagne le développement de la gamme. «Aujourd’hui, nous développons trois références pour ce projet : une bouteille pour la bière, un pot et une bouteille pour les boissons non-alcoolisées», souligne Marie-Astrid Gossé. Le verrier O-I est également engagé dans la production des premiers contenants. Devraient s’ajouter ensuite au premier palier du dispositif ReUse deux bouteilles en PET (1L pour soda et jus, 1,5L pour de l’eau), deux pots en verre (230 et 390 ml), et deux barquettes en inox (450 ml, et 1L). A maturité en 2029, six bouteilles devraient étoffer la gamme : quatre en verre, en 33 cl pour des boissons pétillantes, et en 75 cl pour le cidre et le vin, ainsi que deux en PET en 50 cl pour des sodas, des jus et de l’eau. D’autres résines plastiques sont à l’étude pour les bols et barquettes, et des pots en PP pourraient aussi émerger. Deux milliards d’unités devraient circuler à terme, dont 67% d’emballages standards. Le reste se composera d’emballages iconiques réemployables – c’est-à-dire les emballages spécifiques à une marque ou à un produit (la bouteille de Coca-Cola ou d’Orangina, le pot de Nutella, etc.). «Ils ne sont pas exclus du dispositif car ce sont des produits populaires, qui représentent un volume important, proche de celui que l’on atteindra avec des emballages standards», estime Sophie Nguyen. Les bouchons et couvercles resteront, eux, majoritairement à usage unique, donc non réutilisables.
Le retour rapide des emballages et le lavage : deux étapes clés
Dans un premier temps, 10 millions d’unités devraient être déployées sur le marché (dont 42% de standards, soit environ 4 millions d’unités, et des iconiques déjà existants). Plus de 1000 magasins (hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité, bio, drives) devraient être équipés de RVM (Reverse Vending Machine – machine de collecte), de douchettes pour scanner les emballages, de caisse-palettes et de bacs pour faciliter le retour des emballages et leur déconsignation. A maturité, le dispositif vise un total de près de 18 000 magasins. L’un de ses objectifs est de pouvoir organiser une collecte massifiée chez le transporteur qui récupèrera les collectes de plusieurs magasins, avant de transporter l’ensemble (en vrac) au centre de tri et de lavage le plus proche (une vingtaine en France) ou directement chez l’industriel conditionneur. Certains pourraient faire laver leurs emballages iconiques dans des centres mutualisés, et d’autres pourraient internaliser le lavage d’emballages standardisés. Citeo travaille sur une grille d’audit à destination des usines de lavage. D’autres éléments du parcours consommateur doivent être mutualisés pour un pilotage global du dispositif (telles les données sur les retours des emballages vides), et certains aspects harmonisés afin de rendre la pratique homogène pour les consommateurs (montant de la consigne, cohabitation avec des systèmes de collecte déjà existants…). La modélisation économique est fondée sur l’hypothèse que le dispositif ReUse représentera 80% du réemploi sur le périmètre alimentaire GMS.
Motiver le consommateur à travers un parcours étudié
« Nous devons nous incruster dans le quotidien des français, y compris ceux pas encore engagés dans le tri et le réemploi ! La pratique doit être massive. Le retour rapide de l’emballage dans un point de vente est une étape majeure dans le dispositif», relève Sophie Nguyen. Citeo a lancé un programme d’études sur la période 2022-2024 pour identifier le potentiel d’adhésion au réemploi et identifier des typologies de consommateurs, développer un référentiel sémantique et iconographique pour qualifier l’offre, et identifier les leviers et les freins sur l’ensemble du parcours consommateur (dans les rayons, mais aussi dans sa cuisine, etc.). Dans la modélisation, Citeo table sur un taux de retour à 85% à maturité du dispositif.