Réemploi : quels leviers pour un passage d’échelle réussi ?
publié le jeudi 19 janvier 2023
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Pour la 4e édition de sa journée « Commerce Circulaire 2022 » le 13 décembre dernier, l’IDC – l’Institut du Commerce – a choisi de parler réemploi des contenants et emballages. Un thème d’actualité alors la loi AGEC, notamment, impose 5% de réemploi en 2023 pour atteindre les 10% d’ici 2027. Si les expérimentations se multiplient localement, quelles sont les barrières à lever pour une réelle massification et généralisation du modèle au niveau national ?
Parent pauvre des stratégies 3R (Réduire, Recycler, Réutiliser), le réemploi suscite de nombreux questionnements sur sa mise en œuvre, retardant ainsi son déploiement sur le terrain. Il permettrait pourtant d’améliorer les taux de collecte en France jugés insuffisants par exemple pour les bouteilles plastiques (50%) et de réduire le volume des déchets.
Si la loi AGEC avait pour ambition d’instaurer un cadre imposant 5% d’emballages réemployables dès 2023, force est de constater que le démarrage est poussif. Après deux ans de retard, la création d’un Observatoire du réemploi et de la réutilisation piloté par l’Ademe a été annoncé en septembre dernier. A noter que depuis 2021, les éco-organismes en charge des emballages (Citeo, Léko en France) doivent désormais dédier 5% de leur budget au développement du réemploi. Au niveau européen, des objectifs sont en cours de discussion dans le cadre du futur règlement européen sur les emballages, indique Hugo Conzelmann, de l’INEC. Pour rappel, les objectifs de réemploi pour 2040 ont été fixés à 40% pour la vente à emporter, 25% pour les brasseurs, 30% pour l’emballage de transport de produits, etc.
Pourtant alors que les tensions sur les ressources et la pénurie de certaines matières perdurent, le réemploi devrait être perçu comme un accélérateur du changement à l’heure où les emballages à usage unique utilisent 40% de plastique et 50% du papier consommés en Europe, et qu’il est prévu un doublement de la production mondiale de plastique d’ici 2050 et un triplement d’ici 2100.
Fort de ce constat, quels freins empêchent un déploiement national du réemploi ? Pour Alice Abbat, de Réseau Consigne, plusieurs facteurs sont à prendre en compte : «il faudrait un maillage plus fin de laveuses industriellessur le territoire et de points de collecte pour faciliter le retour du contenant par le consommateur avec des solutions de collecte adaptées à chaque point de vente. L’absence de process de lavage standardisés pose aussi problème. L’objectif étant à terme d’imaginer des boucles les plus courtes possibles et des systèmes d’incitation harmonisés qui permettent d’avoir un taux de retour très important des contenants. Les réseaux logistiques doivent être aussi améliorés pour optimiser les performances économiques et environnementales du modèle. Enfin, pour les emballages, outre le besoin de contenants standardisés, un marquage commun pour les distinguer des emballages à usage unique et permettre leur traçabilité est à mettre en place».
Par où commencer pour les PGC sans attendre la grande standardisation ?
C’est légitimement la question que peuvent se poser les metteurs sur le marché au vu du vaste chantier qui se présente à eux et qui a fait l’objet d’une belle table ronde durant cette journée organisée par l’IDC.
La grande standardisation des emballages ne doit pas être une condition sine qua non pour se lancer dans le grand bain du réemploi. Si Citeo, Réseau Consigne, et bien d’autres y planchent déjà, elle n’est pas forcément nécessaire à l’instant T, juge Yann Bouchery, chez Kedge Business School : «avoir un grand modèle standard qui soit applicable partout me semble délicat. Il faut trouver le bon compromis pour aller plutôt, non pas vers une, mais des standardisations et identifier les solutions pertinentes dans un contexte donné». Benjamin Peri de la start-up Pyxo va encore plus loin : «la grande standardisation, pour moi, c’est l’excellente raison d’attendre et de ne rien faire. Pyxo a travaillé avec la chaine McDonald’spour mettre en place leur vaisselle réutilisable sur tous leurs points de restauration. La chaine n’a pas opté pour les gammes standards proposés par Citeo mais a préféré choisir ses propres contenants, à leur couleur, design et logo. Car ça reste un important support marketing et de branding puissant. Et ces contenants sont adaptés à leurs cuisines et chaines de production. Le jour où les emballages réemployables standardisés seront généralisés, ils pourront soit décider de continuer avec leurs contenants mais paieront plus cher leur traitement et lavage ou soit de changer leur parc, en sachant qu’il a une durée de vie d’environ environ 1 an pour 100, 200 à 300 cycles de rotation». Et Antoine Salles, cofondateur du cabinet Causa Nova, d’ajouter : «avant de penser standardisation, la priorité doit être donnée à l’harmonisation des pratiques et la configuration des systèmes logistiques, la plus forte attente de la part des industriels».
Quels modes de financement du système ?
La question du financement est délicate, et nécessite de clarifier le système et le rôle de chaque acteur dans cette chaine du réemploi. Passer à des emballages réutilisables, c’est d’abord un CAPEX initial pour transformer la chaine de production. Puis un surcoût à absorber en OPEX, engendré par le nettoyage, poste le plus cher sur le réemploi, même si plusieurs entreprises dans le secteur du lavage industriel sont en train d’investir massivement pour réduire les coûts. «Mais face à l’augmentation du prix des matières premières et à la multiplication des taxes imposées sur les emballages à usage unique en plastique, le réemploi va devenir très vite rentable et compétitif», projette Yann Bouchery, qui indique que l’Ademe a récemment débloqué un fonds de financement de 10 M€ d’aides aux projets de réemploi pour 2023. Sans compter, que la plus grande question que pose le réemploi, est de savoir à qui vont appartenir les contenants. «Or, aujourd’hui, personne ne veut posséder ces emballages réutilisables. Ce n’est pas le métier des chaines, ni des restaurants, ou encore des grandes enseignes, etc. Raison pour laquelle Pyxo va tester, en ce début d’année, un système pour financer toute l’infrastructure du réemploi (centres de lavage, points de collecte et les contenants réutilisables) par les citoyens. Le contenant devient un bien commun. En lui ajoutant un frais fixe à l’usage, on implique le consommateur à qui reviendra la part allouée à l’amortissement du contenant. Il pourra suivre la rotation de ses contenants grâce à un QR code unique. Plus ils tourneront souvent et dureront longtemps, plus il gagnera de l’argent», explique Benjamin Peri.
Oser tester, expérimenter
L’heure est clairement à la recherche des bons dosages du système de réemploi. «C’est un peu comme un ingénieur son qui doit faire ses balances, nous avons la mélodie, il faut juste la mettre en musique », explique Yann Bouchery qui insiste : « j’entends beaucoup d’industriels qui concluent, après un projet test non concluant, que le réemploi n’est pas efficace. C’est faux : c’est le pilote qui a été mal conçu et implémenté. Il faut beaucoup de finesse pour doser tous les paramètres : parcours client, logistique, financement, réseau de lavage, etc.». L’école Kedge annonce ainsi que de trois de ses étudiants en supply chain vont accompagner en 2023 la chaine de vente en vrac Day By Day jusqu’à la fin mai pour travailler sur cette question de réemploi.
Ces boucles à imaginer ouvrent également de nouveaux champs des possibles du côté des contenants. «Nous avons vécu avec l’habitude de tirer les coûts le plus bas possible pour l’emballage à usage unique afin qu’il ne dépasse pas les quelques centimes. Aujourd’hui, la voie du réemployable va nous permettre d’imaginer de nouveaux designs et de propriétés afin qu’ils gagnent en valeur ajoutée. Pourquoi pas faire appel à des matériaux autoréparants ou autonettoyants, jusqu’alors jugés trop chers pour du jetable», s’interroge Philippe Reutenauer, cocréateur de la fresque du plastique et consultant en stratégie emballage écologique pour Léa Nature.
De l’intérêt de mutualiser les efforts
Pour Antoine Salles, le réemploi ne pourra avancer qu’en privilégiant une voie systémique et en s’appuyant sur la force des plateformes multi-acteurs. «C’est ce que nous avons mis en place pour le vrac, avec l’initiative En Avant Vrac ! en réunissant les grandes surfaces, les marques nationales et les parties prenantes techniques. Le réemploi se prête à la même approche». Et pour faciliter le passage à l’échelle du réemploi, les associations professionnellesaffichent déjà cette nécessaire coopération. «Après la publication en 2022 du Guide du vrac et du réemploi, le besoin de poursuivre les échanges s’est fait ressentir pour gagner en visibilité et partager un état des lieux sur le réemploi», indique Emilie Chavignac de l’IDC. Des réunions régulières avec les têtes de réseaux sont organisées en ce sens. Est ainsi né Vrac InterAsso coordonné par Réseau Vrac. «L’idée est de réunir les différentes associations et d’échanger pour éviter de refaire les mêmes tests ou études et de gagner en efficacité afin de ne pas démultiplier les efforts. Avec comme objectif de trouver des modèles mutualisables et standardisables », explique Chloé Liard, Réseau Vrac qui prévoit la publication d’un Guide des bonnes pratiques d’hygiène GBPH, en partenariat avec la FCD – Fédération du commerce et de la distribution – en 2023. A noter, la participation à cet effort commun, de GS1 qui anime un groupe de travail sur les emballages et le réemploi. «Notre association GS1 intervient dès lors qu’il y a des besoins d’interopérabilité, d’harmonisation et de standardisation des échanges de données. Ce que le réemploi va très vite devoir déployer pour assurer une traçabilité et logistique performantes», ajoute Lorène Néel, GS1.